Intro


On raconte que le désert est habité par les Djiins (جِنّ), ces créatures mystiques et surnaturelles. On les contes parfois tel des ombres, glissants sur les dunes ou sous les pierres, en silence, à la tombée de la nuit, à la recherche d'une âme à vampiriser.On les craints comme la soif qui tarie les voyageurs, comme le soleil qui brûle les rétines, là, où le rien prend toute sa dimension, là, où le temps et l'espace semblent distordus. VERSION FRANCAISE

Macro Ondes


Sur la route de la côte, Maroc, toujours vers le sud depuis quelques jours. Plus j'avance plus le mot n'est plus juste une projection de mon esprit créée par les images qu'on a pu me donner. C'est vrai, on pourrait s'ennuyer, seul, statique, au milieu de ses grands riens où l'on raconte les paysages monotones. En fait, il en existe tellement de nuances qu'on a pas le temps de s'habituer et on est déjà dans un autre tableau. Tantôt sableux, tantôt rocailleux, il est parfois plat ou ondulé, "et puis c'est quoi ces petits trucs qui poussent là..." ?

Les nuits sont froides et les jours, ma foi... En réalité ce n'est pas tant la chaleur sous les couches de vêtements et le chèche qui est difficile à supporter. Ni même la lumière intense du soleil qui fait se brider les yeux les plus sombres, non. Aux pires heures on prend pleine conscience d'un autre facteur. Indépendant des indications du thermomètre ou du nombre de candelas qu’on se prend dans la tronche, il donne l’impression d’agir sur le cerveau comme un micro-ondes le ferait sur une poche d’eau. Même bien hydraté, alors que je pousse Mysty, je me souviens avoir titiller la démence comme on peut jouer à caresser une flamme paresseuse du bout des doigts. En fâcheuse conversation avec moi-même, je laisse volontairement le ton monter… curieux de voir où tout cela pourrait me mener. A la fois conscient de l'absurde de la situation mais aussi de plus en plus agacé par ces réponses systématiquement provocantes venant d'un étage supérieur … :

  • “ … Ça va, t'as fini ton monologue ? “

  • “ Non, j'ai encore plein de choses inutiles à raconter pour te faire perdre ton temps et ta patience. Pourquoi, tu vas faire quoi ? “

  • “Je propose qu'on en reste là, on a plus malin à faire là tout de suite, tu penses pas ? “

  • “ (chante fort et faux) LALALALAAAALALALALALAAAAA ! “

  • “ mais fermes-la quoi… tu me fatigues, vraiment.“

  • “ Ah ouais !?  Monsieur est fatigué ? Whoua, trop fort l'aventurier, je savais qu'il irait pas bien loin celui là ! Tu te dégonfles c'est ça !?

  • “ Tu veux bien arrêter de tout transformer s'il te plait ? “

  • “ MAIS TU VAS FAIRE QUOIIIII ?! “

Une grande droite s'est décrochée du poing moite mais habile de Timide, qui par sa victoire indiscutable sur Teigneux souille dans le même temps ce qu'il avait de plus précieux et de plus cher. Par le fait d'avoir succombé à cette violence trop évidente, Timide s'était en réalité offert à Teigneux qui jubilait, le regard exalté, la bouche grande ouverte, langue sortie, un long soupir étranglé en haut de la gorge. Il venait de lui offrir les pleins pouvoir sur mon âme… Il faut absolument que je m'arrête. MAINTENANT ! ICI !

Ce qui change aussi beaucoup avec les grandes étendues de rien c'est qu'il n'existe presque plus aucun repère ou distractions sur le bord de la route. Autant d'excellentes excuses qui d'ordinaire invitent à s'arrêter pour récupérer ou simplement se prélasser en s'imprégnant d'un verger, d'un arbre, son rocher gravé, sanctuaire… Alors qu’ici, frôlant l'asphalte qui ondule sous les brulures, dans l'attente du mirage qui n'arrive jamais, il est facile de dépasser le seuil raisonnable en roulant plus que ce que l'on aurait du.

Heureusement que le Vent est là. Bonjour Dieu, sois loué, merci d'être venu. Majoritairement dans mon sens et puissant depuis Laâyoune, il est aussi impitoyable et franc que le soleil, il décide si je dois souffrir. C'est lui qui donne les règles. Difficile, voire impossible d'échapper complètement à son infatigable courant. D'où vient toute cette puissance, qui seulement penserait à défier une telle force ?

Ça gratte...


Je l'appellerais Dimitri parce que je ne me souviens pas de son nom. De très loin je pense encore divaguer, plus près… C’est clairement un deux roues qui remonte le courant. Trop petit pour une moto. Une mob ? Impossible, ça fait longtemps que les derniers pêcheurs sont derrière, le prochain campement est trop loin pour ces petits styles de Solex. Merde… C'est un vélo ! Son ennemi du jour roule à mes coté, le vent est d'une telle force que je dois bien faire du 25km/h en poussant à peine. On s’arrête à la même hauteur, la bande noire du goudron de la route nous sépare, comme posée sur ce décor blanc stérile où personne d'autre que nous, les pierres et les fourmis argentées ne pourront relater cette rencontre. Je suis subjugué... Nous restons quelques instants, comme ça, le sourire honnête et pur de ces grands enfants qui se sont un jour jurés de ne rien faire comme les autres.

Il traverse, il n'est pas bien grand, plutôt maigre. Poivre et sel court, visage et crâne découvert, pas rasé depuis au moins la dernière fois. Les trous et creux de sa figure écaillée de brûlures rappellent l'état des sacoches de voyage, accrochées à son vieux vélo. Le regard aussi vif que les fouets des caravaniers, il inspecte la charrette, puis la voile, puis les patins. Exalté il est, pas fou, c'est facile à voir. Aucun de nos dialectes respectifs ne nous permettent de communiquer clairement grâce aux mots. Il est manifestement Polonais. Il explique qu'il revient de la frontière Mauritanienne à quelques 500km d'ici où il avait été refoulé pour ne pas avoir pu payer le visa d'entrée. Depuis, il remonte le vent, remonte le temps, il insulte la logique primaire des forces naturelles parce que Dieu l'a voulu, parce qu'il a accepté d'être son serviteur. Les professions de foi ne sont jamais raisonnables pour ceux-là. Va savoir où il partait. Le savait-il lui même ? Est-ce important ?

Le sable est partout.

Après Laayoune je me trouve pour de bon dans le Sahara. J'y rencontre un peuple nouveau, les Saharaouis. Sur le papier des cartes, ils sont bien marocains car le territoire à été annexé depuis la fin de la domination espagnole en 1975. Je mets un peu de temps à réaliser la sensibilité du sujet.

De grandes souffrances humaines transpirent sur cette terre de trésors, cette terre de richesses, aussi bien terrestres que marines. L'or des sultans semble une fois encore avoir eu raison, pour un temps certainement, de la bravoure des grands hommes et chefs de tribus qui jadis, on raconte, surent mettre à l'amende toute une armée.

Alors que bien des Saharaouis, tels les enfants durs et sauvages du sable d'or et des lunes d'argent, vivent toujours de grandes tentes encensées et de chameaux marqués au fer, le Maroc semble fermement ancré dans la zone. Surtout après la péninsule de Dakhla, jusqu'à la frontière Mauritanienne. On croise ici et là des villages de colons et des bases, des familles de militaires y persistent et assurent la souveraineté d'un Royaume rigide sur la question.

Domination silencieusement contestée dans ces points de rencontres presque secrets où les ombres sous les lampes à huile rappellent l’atmosphère des repères à pirates au nord, brumeuse et mystique. Toutefois les musiques et sombres turbans, comme teintant la nuit d'une note de khôl, nous ramèneraient plutôt dans ces contes nocturnes que l'on a arrêté de compter.

Caché derriere ce panneau en bois, c'est le seul point de ravitaillement à 50km à la ronde, il est temps de dormir, depuis longtemps.